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Influe moi comme je veux !

Influe moi comme je veux !

Elles sont nombreuses à l'afficher fièrement sur leurs comptes : « Influenceuse ». Que ce soit en mode, beauté ou en « lifestyle », les influenceuses ont envahi les réseaux sociaux, faisant d'eux une ouverture sur leur univers. Un univers qu'elles partagent avec des centaines, milliers voire millions d'abonnés. Grâce à ces communautés fédérées, elles peuvent prétendre à des partenariats avec de grandes marques et enseignes aussi locales qu'internationales. Leurs abonnés sont à l'affût de leur actualité. Ils les suivent partout, leur demandent conseils et s'inspirent souvent de leur mode de vie.

C'est étrange comme derrière un écran, tout devient accessible. Il devient alors facile d'atteindre une personne, de caresser son égo ou de briser ses ambitions. Les barrières tombent et les distances sociales s'effacent. Des personnes que l'on n'aurait jamais connues ni pu côtoyer dans la vraie vie deviennent accessibles, voire familières.

Si certains diront que les réseaux sociaux, notamment Instagram, ont rendu les gens plus imbus d'eux-mêmes, voire narcissiques, d'autres noteront qu'ils ont ouvert la porte à la méchanceté et à la mesquinerie. En effet, si ces influenceuses exhibent toute leur vie sur ces réseaux, d'autres ne ratent pas une seule occasion de les critiquer, voire de les harceler. Et ce, en mode incognito, bien sûr. Parce qu'aujourd'hui, si la plupart sont identifiables via des profils réels, beaucoup choisissent d'être les fantômes du web. Tantôt portant de faux noms, tantôt arborant des croyances et idéologies comme devise, voire marque de fabrique. La jalousie est devenue déguisée en bienveillance, l'insulte en conseil. Tout le monde se permet de donner son avis sur la vie étalée des autres. Parce qu'ils les ont eux-mêmes conviés aux premières loges de leur vie privée.

Des communautés se créent. Non comme des abeilles autour d'une reine, mais plutôt comme des lobbys faisant pression. Elles les suivent minutieusement, jugeant leurs tenues du jour, leur déjeuner et leurs sorties. Elles ont appris ce qu'elles aiment et ce qu'elles détestent, se projetant par moment dans des vies qui auraient pu être les leurs, mais qui ne le sont pas. Des vies dont elles ont néanmoins obtenu le contrôle. Elles choisissent avec elles leurs achats de luxe et leurs prochaines destinations voyage. Elles sont tantôt adorées, tantôt jalousées, mais elles sont surtout suivies. Qu'elles soient aisées ou qu'elles aient réussi à gagner en visibilité de par la qualité de leur contenu ou l'ardeur de leur travail, elles sont persécutées.

Elles ont bâti leur communauté, mais ont découvert au cours du chemin que ces gens-là ne faisaient pas que les aduler. Qu'ils pouvaient à tout moment leur devenir néfastes. Elles l'oublient peut-être par moment, mais la communauté est là pour le leur rappeler. Ce n'est plus elles qui décident. La communauté décide de leur contenu. Elle dicte ce qui sera reporté de ce qui sera oublié. Elle décide des tendances, elle écrit l'histoire avec elles, pour elles. Et si demain, par malheur, elles osent se rebeller, la communauté les écrasera. Elle les lynchera et adulera leur remplaçante.

Ce n'est pas que les influenceurs sont des victimes. Mais ils sont assurément souvent victimes de leur succès. Ils subissent aujourd'hui les conséquences de leur engouement. Des conséquences réservées jadis aux stars des grands écrans et aux musiciens, mais qui sont devenues aujourd'hui accessibles à tous ceux qui prétendent à de la visibilité. Mais si une personne ouvre son univers, est-ce une raison d'oublier ses propres limites et toute notion de respect ? Est-il réellement possible de vivre deux vies sans se perdre ? Comment garder ses principes, son intégrité dans la vraie vie si nous nous perdons dans la laideur de cet univers si étendu mais si confiné qu'est le web ? Avons-nous réellement le droit de critiquer, de blesser ou simplement de nous immiscer dans la vie d'un inconnu simplement parce qu'il a laissé la porte ouverte ?

Un simple "Like" permet aujourd'hui de changer la donne. Il permet à une influenceuse d'obtenir plus de partenariats, à un journaliste d'avoir plus de couverture et qu'une affaire publique fasse plus d'écho. Mais avec plus de pouvoir devrait aller plus de responsabilité. Est-ce une raison suffisante que d'avoir un moyen de pression pour en user et abuser afin de faire et défaire des réputations ? Il est hallucinant de réaliser qu'un Like ou un Partage peut aujourd'hui peser autant, mais à force de rester focalisé sur autrui, de le décrypter, de le critiquer et de le réprimander, nous ne pouvons que perdre notre moralité. Nous deviendrons alors ce que nous critiquons : des influenceurs influencés.